Résumé


Nous assistons médusés à la grogne des Français contre la réforme phare de ce quinquennat, celle des retraites, actuellement engagée par le Gouvernement. Plus de 70 % des personnes interrogées se déclarent opposées au projet, quel que soit l’institut de sondage. Une proportion encore plus grande est hostile à sa disposition cardinale ayant trait au report de l’âge de départ de 62 à 64 ans.

Or il s’avère que les différentes enquêtes portant sur l’attitude et les ressentis des salariés du secteur privé face au travail infirment la thèse d’un divorce consommé avec le monde du travail. De nombreux indicateurs clés sont en effet bien orientés, à la faveur des bouleversements imposés par la crise du covid. Reste que le bât blesse sur le front de la communication réciproque et du dialogue entre management et collaborateurs, et c’est là précisément que doivent se porter tous les efforts des directions d’entreprises.

Un étonnant paradoxe


Dans le barnum actuel autour de la réforme des retraites, où l’Assemblée s’est évertuée à nous infliger un bien pitoyable spectacle, émaillé de coups d’éclat et d’invectives, ne parvenant même pas à mener un débat intelligible et boucler l’examen de l’intégralité du texte, où on a tout entendu et son contraire en matière de justification économique et de chiffrage de l’impact concret des mesures emblématiques du projet, où des forces syndicales ou formations politiques parlent de mettre « le pays à l’arrêt », voire « à genoux » si la réforme n’est pas retirée, il nous aura manqué une réponse, pourtant si importante à cette question lancinante :

Pour quelle raison a-t-on tant du mal à faire accepter un allongement de la durée de vie au travail à nos concitoyens, alors que les arguments ne manquent pas pour en expliquer la nécessité et que le part de la vie éveillée des Français consacrée au travail est passée de 70% sous Napoléon à 40 % grâce au Front Populaire en 1936, pour ne plus représenter que 14 % aujourd’hui (d’après le Fondation Jean Jaurès) ? 

En effet, chaque tentative de réforme du régime des retraites, hormis celle rondement menée en 2014 par Marisol Touraine, depuis celle avortée d’Alain Juppé en 1995, en passant par celle de 2003 (François Fillon), de 2010 (Eric Woerth), et celle de 2019 enterrée après avoir été adoptée à l’Assemblée en 2020 après recours à la procédure du 49.3 (Edouard Philippe), jusqu’à l’actuel projet, donne immanquablement lieu à une formidable levée de boucliers. Et pourtant, l’allongement de l’espérance de vie (voir courbes ci-contre) et la chute inexorable du rapport démographique actifs/retraités (voir graphique ci-dessous), devraient militer pour la mise en œuvre d’une réforme vigoureuse portant sur l’allongement de la vie active.

Ce paradoxe, par-delà l’incapacité des gouvernants à aligner les bons arguments pour la réforme dans le bon ordre, doit nous surprendre et nous interroger. D’autant plus qu’autour de nous, la majorité des Etats membres de l’Union européenne se sont résignés à repousser l’âge légal de départ à la retraite aux alentours de 65 ans.

Les ferments de la résistance au changement


En explorant davantage les autres indicateurs de l’Observatoire du CEPREMAP, on s’aperçoit de trois phénomènes importants affectant l’appréciation que portent les Français sur leur bien-être :

  • L’équilibre entre le temps consacré au proches (enfants, parents, conjoint, amis proches) et le temps consacré au travail reste pour eux peu satisfaisant (indice 6/10), bien que cet équilibre soit en amélioration tendancielle.
  • Leur crainte est que les perspectives d’évolution de leur bien-être dans les années à venir ne suivent pas une tendance favorable (indice 5,5 – en nette dégradation depuis 2016), et ils redoutent encore plus les conditions dans lesquelles vivront leurs enfants.
  • Autour de 68 % des personnes interrogées ont la nostalgie du passé et choisissent une période antérieure quand on leur demande à quelle époque ils préfèreraient vivre.

Nous sommes à l’évidence en présence d’un déficit de confiance des Français en l’avenir, accompagné du syndrome de « c’était mieux avant ». Celui-ci se double d’un désir de rééquilibrage du temps de travail et du temps libre, bien que ces mêmes Français soient plutôt heureux au travail.

Des enquêtes éclairantes

En y regardant de plus près, une enquête de fin 2021 de l’IFOP, réalisée juste à la sortie de la crise covid auprès des salariés de sociétés privées de plus de 50 salariés, nous procure un éclairage complémentaire. Elle met en évidence une nette amélioration de la perception par les salariés en matière de dynamique de développement personnel, intervenue à la faveur des changements provoqués par ladite crise. Tous les critères examinés sont en progression depuis la précédente enquête de 2018, dans une fourchette de 6 à 16 points.

Cette enquête nous apprend ainsi que le management a évolué vers un fonctionnement plus coopératif, empreint d’une plus grande dose de délégation et d’un moindre degré de bureaucratie. Tout porte donc à croire que cette période du covid a contribué à fortement décloisonner et assouplir les organisations.

A contrario, s’agissant des comportements du management au regard de la fixation des objectifs et de la prise de décision, les travers déjà présents avant la pandémie, avec une propension à privilégier la gestion court-termiste et manquer de transparence dans les processus de décision continuent à s’accentuer.

Des frustrations réciproques

C’est en réalité sur l’organisation du temps et de l’espace de travail, la gestion du travail à distance et la digitalisation libératrice que se sont polarisés les efforts du management. Mais parmi les différentes attentes des collaborateurs relatives aux changements souhaités, le sujet des modes de rémunération arrive en tête ou en second pour 70 % des salariés. Ce point de fixation, dans une période d’inflation rampante, sonne comme un sérieux coup de semonce.

Les managers expriment pour leur part le besoin d’une prise d’autonomie de leurs collaborateurs, s’accompagnant d’une communication plus régulière de leur part, et de l’assurance qu’il sera possible de leur accorder la confiance nécessaire pour leur déléguer davantage.

En somme, dans le secteur privé, c’est un manque de communication et de confiance réciproque qui sont sans doute à l’origine de cette retenue face au travail et l’attachement aux acquis sociaux, tout autant que la conviction que les modes de rémunération ne sont plus adaptés au monde plus flexible d’aujourd’hui.

Que doit faire le Management ?


La crise ukrainienne a agi comme un révélateur des déséquilibres et des tensions apparus à la sortie de la pandémie (inflation, taux d’intérêt, ralentissement de la croissance, dépendance énergétique, difficultés d’approvisionnement, …) et des fragilités systémiques (menaces géopolitiques, capacités insuffisantes de défense, urgence climatique, …). Les inquiétudes des Français relatives à l’avenir et plus prosaïquement à l’évolution de leur pouvoir d’achat exacerbent probablement leur réaction négative au changement, dont cette ferme opposition à la réforme des retraites en discussion est la manifestation le plus voyante.

Le rôle du Management est à ce titre double :

  • D’une part, proposer une visibilité plus grande du cap suivi par l’entreprise, qui paraisse plus concret et fasse davantage sens auprès des collaborateurs, ainsi que des objectifs ambitieux et cohérents susceptibles de les mobiliser,
  • Et d’autre part, faire progresser la qualité du dialogue dans l’entreprise à propos des engagements réciproques en matière de communication mutuelle et engager la discussion sur les attentes des salariés en matière de politique de rémunération en les confrontant aux attentes de leur management, sur un mode donnant-donnant.

Dans les sociétés de taille moyenne (ETI et grosses PME) auxquelles nous consacrons toute notre énergie chez METISENS, il est évidemment plus aisé d’engager ce dialogue et de trouver des solutions viables que dans des entreprises de taille soit trop modeste et qui manquent de moyens, soit à l’inverse trop grande et dont l’organisation est pesante. Cette conclusion met en exergue le rôle capital de l’organe de gouvernance interne (COMEX ou CODIR) et de la dynamique régnant en son sein. Cette assise est essentielle, car faute d’un fonctionnement soudé et résolument collaboratif des membres de cette instance centrale, la capacité du management d’obtenir un gain palpable en matière de mobilisation et d’engagement des collaborateurs à travers un dialogue ouvert et constrictif est illusoire.

Nous avons eu l’occasion dans un précédent article de développer cette question cruciale de la dynamique de leadership au sein de la gouvernance interne et d’évoquer la manière de la mesurer. Sans revenir sur cet important sujet, nous insistons sur le fait que cette dynamique doit percoler partout dans l’organisation. Prenant la forme de pratiques assidues de communication et d’échange avec les collaborateurs auxquelles prend part l’équipe de management dans son ensemble, il incombe au dirigeant de l’entreprise de prendre le problème à bras-le-corps, d’y consacrer le temps nécessaire, et de veiller à traduire les bons principes en actions effectives et soutenues.

C’est à travers un travail méthodique, humble et patient au sein de chaque entreprise et de chaque organisation qu’émergeront des solutions permettant de réconcilier les Français avec la valeur travail et de replacer ainsi cette notion au sommet de leur quête de sens et de réalisation personnelle.

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