La méthode des regards croisés

Qu’est-ce que ce terme évoque pour vous ?

Senior partner A

L’expression “regards croisés” évoque pour moi une philosophie d’analyse et de décision qui vise à traiter un problème en admettant dès le début qu’il y a forcément plusieurs points de vue complémentaires voire parfois divergents en certains points sur un sujet donné, et qu’en exploitant ces différences, on augmente la performance de l’analyse et de la décision.

Cela part de la conviction profonde qu’un problème opérationnel dans une entreprise a forcément des ramifications (causes ou conséquences) dans plusieurs fonctions opérationnelles ; seule une combinaison de regards experts peut apporter une réponse sûre. Or personne n’est expert de toutes les fonctions opérationnelles de l’entreprise.

Cette idée n’est pas quelque chose de nouveau, car pratiquée depuis longtemps par les organisations performantes.

C’est une approche participative, mais également fondamentalement démocratique puisque le parti-pris est que tous les points de vue sont également considérés.

Senior partner B

Les médecins spécialistes autour du malade ont un regard croisé sur le cas qu’ils traitent. Tous partagent l’objectif d’améliorer la santé du patient. Chacun considère le patient en fonction de sa spécialité. Il prend en compte les points de vue et besoins de ses confrères pour contribuer au mieux à la bonne santé du patient. Chacun exprime à ses confrères son opinion, issue de sa pratique, et ses propres besoins pour soigner le patient en fonction de sa spécialité.

Il s’agit donc d’une approche de traitement de problème basée sur des expertises complémentaires et aux recouvrements limités.

Dans le cadre d’un problème de performance économique d’une entreprise, les expertises attendues portent sur les fonctions de l’entreprise : stratégie, leadership, opérations, produits, commerce, SI, RH, finance, pilotage, gouvernance.

A quoi ça sert et quel en est le bénéfice ?

Senior partner A

Lorsqu’un conseil extérieur pratique la méthode des regards croisés, le bénéfice pour l’entreprise est clair : une proposition de solution qui soit, le plus possible, exempte de biais.

Les facteurs de réduction ou d’élimination de biais sont les suivants :

Le conseil est extérieur à l’entreprise, et ne subit donc pas les jeux de pouvoir internes, qu’ils soient politiques ou hiérarchiques.

Deuxièmement, les regards croisés proviennent de professionnels expérimentés et ayant enrichi leur expérience dans des environnements différents de celui de l’entreprise en question.

De plus, l’équipe qui pratique les regards croisés sur une problématique provient de domaines fonctionnels différents (commercial, production, qualité, stratégie, finances et cetera et cetera) ; ceci assure la plus grande diversité possible des points de vue.

Et enfin la liberté de ton et la liberté d’expression de points de vue entre les membres est rendue possible par le fait qu’il n’y a pas de rapport de pouvoir ou de conflit d’intérêt entre eux.

Senior partner B

Une telle démarche permet de créer une vision partagée d’un collectif d’observateurs dont chaque individu n’a qu’une vision limitée du problème à traiter. Le bénéfice est de circonscrire un problème complexe qu’un individu ne verrait que partiellement, et donc de le traiter dans sa totalité.

Dans le cadre des problèmes liés à la performance économique d’une entreprise, chaque expert voit le problème en fonction de ce qu’il sait voir, selon l’adage bien connu que « pour celui qui n’a qu’un marteau, tous les problèmes ressemblent à un clou ». Ainsi, l’expert RH pourra considérer que tout est question de ‘soft skills’’, l’expert du pilotage qu’il faut mettre de bons indicateurs partout, … alors que dans les faits, une action ne sera efficace que si elle se définit rationnellement et que son auteur a envie de la mener, c’est-à-dire que chaque vision n’est vraie qu’en prenant en compte les autres visions, pour enfin converger vers une action cohérente.

Comment ça se pratique ? Quelles sont les conditions pour bien mener la méthode ?

Senior partner A

Le “regard croisé” peut être pratiqué si, comme c’est indiqué plus haut, l’équipe est constituée d’individus expérimentés venant d’horizons fonctionnels différents, de segments de marché différents et de taille d’entreprise différentes, et ayant entre eux une liberté de ton rendue possible par l’absence de jeu politique et d’enjeux de pouvoir. C’est une des raisons pour lesquelles un conseil extérieur est le plus à même de mener une telle démarche.

Senior partner B

Pour que cela se passe bien, chaque expert doit respecter l’expertise et le rôle de ses confrères tout en les connaissant suffisamment pour comprendre leurs demandes. Cela suppose que ces rôles et ces expertises soient clairement définis et connus de tous.

Des méthodes structurant les temps d’écoute et d’expression entre pairs, pour évaluer ou enrichir des projets (type « codéveloppement »), peuvent y contribuer de façon fort utile.

Comme dans toute interaction humaine, une attention particulière doit être portée aux intérêts individuels, aux egos envahissants, aux enjeux et stratégies personnelles, aux croyances individuelles trop profondément ancrées, aux postures, aux jeux de pouvoir, aux marchandages et coalitions possibles, aux compétences individuelles d’écoute et de maîtrise émotionnelle.

Ces biais individuels et collectifs sont relativement simples à décoder pour le professionnel rompu, mais leur maîtrise est un véritable défi. Une réflexion collective sur le cadre éthique du groupe peut être d’une grande aide en la matière.

Quelles sont les autres méthodes possibles ?

Senior partner A

Parmi les autres méthodes on peut citer le codéveloppement qui est assez fréquemment pratiqué. Cependant, les regards croisés sont une méthode plus libre, avec un moindre formalisme. Elle vise à exposer le point de vue le plus objectif sur un problème, alors que le codéveloppement, tel que je le connais, est plus orienté solution, méthode de résolution. C’est proche mais distinct.

S’inspirer des autres cultures d’entreprise, voire d’autres cultures tout court, est aussi une méthode “cousine”, car elle se base aussi sur l’idée qu’un autre point de vue peut toujours être un apport de valeur face à un problème.

Plus loin du monde de l’entreprise, le procédé de la palabre africaine avec un bâton de parole qui est à la fois un principe et une règle de parole, relève du même esprit.

Senior partner B

Le “regard croisé” est une approche spécifique de travail en groupe. Citons quelques autres approches dont elle se distingue comme le brainstorming dont le but est de produire des idées par rebondissement sur les questions produites, le coaching qui produit un effet miroir avec une certaine dose émotionnelle, le mentoring dont le but est de proposer une direction à l’action par celui qui détient un savoir prééminent par rapport à celui de l’autre, et bien entendu, la discussion du café du commerce qui crée une confrontation non structurée, voire des conflits en cas de désaccord.

Quelles conclusions tirons-nous sur le fond et sur la manière dont nous avons procédé ?

Senior partner A

Le clin d’œil est évidemment dans l’exercice : rédiger sous forme de regards croisés un texte sur le regard croisé.

Et l’exercice m’a amené à faire quelques constatations semblables à celles portées par un « vrai » regard croisé sur une situation problématique d’entreprise : ma réflexion s’enrichit, s’affine, se clarifie au contact des idées de l’autre.

Ce bénéfice apparait de manière différente que les avis soient différents, et dans ce cas, l’enrichissement est évident, ou que les idées soient similaires ; auquel cas, les mots différents, les pondérations différentes sont également un facteur d’enrichissement. L’exhaustivité et la précision sont plus rapidement approchées que par une réflexion « en solo ».

La difficulté vécue dans cet exercice est également de même nature que lors d’un regard croisé verbal : comment ne pas se laisser influencer par l’idée de l’autre, tout en se laissant pénétrer de sa pensée et de s’en enrichir ? Pour réduire ce risque, nous avons procédé -au début de l’exercice- en rédigeant chacun de son côté, puis en confrontant nos textes. Et la conclusion a bien évidemment été rédigée une fois les deux textes réunis, chacun ayant formulé la sienne séparément.

Senior partner B

La méthode utilisée dans cette réflexion a consisté à s’entendre sur les questions auxquelles il s’agissait de répondre et à avancer par étapes en alternant réflexions individuelles et mise en commun. Elle a abouti à un rendu plus riche qu’un avis individuel, aussi expert soit-il.

Il s’agit d’une méthode par regards croisés.

Qu’est ce qui fait donc que, dans le cas particulier de la rédaction de cet article, l’effet espéré a bien été produit ? C’est clairement l’existence de situations et d’enjeux individuels parfaitement compatibles et une égalité totale des rôles et des pouvoirs.

Cette méthode est particulièrement indiquée lorsqu’une entreprise fait face à une baisse de performance économique. Le dialogue entre le conseil d’administration et l’exécutif peut devenir difficile, car il y a rarement unanimité sur les causes et la nature des actions à entreprendre. Or l’alignement entre ces parties prenantes est vital pour espérer réussir un programme de transformation permettant de restaurer la performance. Il est alors particulièrement pertinent de faire appel à un conseil extérieur qui, après diagnostic de la situation, par une méthode de regards croisés l’incluant également, facilitera l’alignement et la prise des décisions indispensables.