Résumé

Notre but de cet article est d’attirer l’attention des dirigeants et de leurs actionnaires sur le phénomène de la complexité et ses dangers. Elle frappe la plupart des entreprises dès qu’elles franchissent une certaine taille et qu’elles acquièrent de l’antériorité sur leur marché. Quasiment absent dans les start-ups et les TPE, souvent mono-produit et mono-modèle d’affaires, ce phénomène se manifeste et grandit au fur et à mesure que l’entreprise s’étend et ramifie son offre et son organisation. Il en découle une perte importante d’agilité.

Une tentation de répondre au plus près aux demandes des clients…

Ainsi, la montée de la complexité est directement issue de la volonté des entreprises de répondre plus finement aux besoins qu’elles détectent, qu’elles pensent déceler, ou qu’elles anticipent chez leurs clients. Elle est aussi le produit de leur désir de différentiation de leur concurrence. Alors que l’offre de produits et de services offerts par les entreprises était restée relativement réduite durant l’ère du taylorisme, la quête de la variété et de la diversité de l’offre comme moyen de développer la demande a donné naissance à une nouvelle tendance au tournant du siècle. D’un paradis des séries longues, d’optimisation scientifique des processus et de linéarité des chaînes de valeur, on bascule dans une quête assidue de la flexibilité et le déploiement de chaînes de valeur plus souples et versatiles.

Notre réflexion s’est de plus nourrie de la constatation que dans les ETI ou les plus grosses PME (désignées par le sigle ETMI dans la suite de l’article), qui sont souvent le fruit d’une longue histoire entrepreneuriale voire familiale, la complexité a fait progressivement son lit dans leur fonctionnement. En découle le plus souvent l’apparition d’entraves bridant le développement de l’entreprise. Ainsi affectée (voire infectée), l’ETMI ne sait plus produire de la croissance organique rentable. Elle ne sait pas non plus réaliser des opérations de croissance externe en intégrant ses acquisitions de manière à dégager les synergies espérées. L’ETMI perd ainsi en grande partie son dynamisme passé et se transforme peu à peu en une « belle endormie » à la croissance atone. Ses principaux cadres paraissent constamment tirer à hue et à dia pour régler les problèmes au quotidien, manquant cruellement de bande passante et de recul pour réussir les actions tactiques destinées à assurer à l’entreprise une trajectoire ascendante.

Posons à présent la définition de cette notion de complexité que nous abordons ici. Un système est complexe s’il est constitué d’une multiplicité d’éléments interdépendants et interconnectés. La complexité est par conséquent liée au nombre d’activités entremêlées qu’il faut organiser et coordonner pour produire l’offre. Maîtriser cette complexité est de ce fait vital afin de piloter l’entreprise pour lui faire atteindre ses objectifs.

…. Qui se traduit par une perte d’agilité

Dirigeants et investisseurs s’accordent généralement pour voir dans la progression du chiffre d’affaires un signe de bonne santé. Cependant, quand la croissance du CA est d’abord tirée par l’expansion de l’Offre, elle finit par obérer l’agilité de l’entreprise. La croissance ainsi obtenue rend son pilotage plus difficile et pèse sur sa performance financière. Tel que le schéma ci-dessus le représente, on observe une décorrélation progressive entre input et output, s’accompagnant d’une baisse de prévisibilité.

Bien souvent, l’Offre de l’entreprise à un instant donné est l’héritage d’une agrégation de produits et de services qui se sont ajoutés au fil du temps. Certains de ces produits et services sont moins demandés que par le passé, voire caducs, mais personne n’ose les retirer du catalogue. De nombreuses variantes de produits fortement demandés ont aussi fleuri pour aiguiser l’appétit de variété des clients. L’entreprise a également étendu sa présence géographique, par croissance interne ou par acquisition. De nouvelles unités de production ou de service ont été mises en place pour produire de nouvelles gammes ou rapprocher l’entreprise de ses nombreux clients.

La base de fournisseurs s’est progressivement étoffée ainsi que le nombre de matières et de composants achetés. La quantité de projets en cours a enflé pour construire de nouvelles approches ou dans le souci d’améliorer les activités existantes.

Moyennant quoi, les responsables opérationnels se trouvent écartelés et mis sous une pression permanente. Leurs tâches se sont diluées sur un grand nombre de fronts alors qu’auparavant la simplicité et la densité des actions fondait leur efficacité.

L’entreprise a ainsi laissé s’installer progressivement une complexité qui s’enracine en elle et s’y incruste durablement. Cette complexité est insidieuse. Elle gêne le fonctionnement opérationnel, congestionne les process, accapare les hommes et érode la performance. Le paradoxe est que dans ces circonstances, même la perte de clients ou l’abandon de marchés ne donne plus lieu à une diminution équivalente de la masse des coûts. Celle-ci semble être devenue une matière inélastique. Quant à la prévision de l’activité et des résultats, elle est devenue plus difficile qu’auparavant et un temps considérable lui est consacré, sans succès notable à la clé.

Dans un prochain article, nous décrirons les effets de cette complexité sur la rentabilité de l’entreprise.