Résumé
Confronter notre évaluation de la situation aux objectifs que nous nous fixons pour en tirer des décisions d’action, telle pourrait être une définition sommaire du pilotage. Comment traduire ce principe très général en un processus puissant, capable de s’adapter à des contextes notablement différents ?
Cet article en pose les éléments clés et les illustre à travers deux cas concrets concernant la Vente et la Qualité Produit.
La responsabilité du dirigeant
Sans réserve, le dirigeant est pleinement responsable et garant des résultats de l’activité ainsi que de son impact social et environnemental, devant ses actionnaires, auprès de son personnel, et devant la Loi. Cette évidence lui attribue un rôle incontournable de contrôle : il est réputé savoir ce qui résulte des activités qu’il dirige.
Pourtant, connaître les bons indicateurs de façon passive est bien insuffisant. Déconnecté, le contrôle reste incomplet. Il ne prend tout son sens que comme contribution au pilotage : “au vu de cette situation et compte tenu de nos objectifs, de nos contraintes, etc… quels sont les possibilités et les risques à envisager et, surtout, quelles sont les actions à décider ?”
C’est ce processus dynamique du pilotage que nous abordons ici.
Un lien entre passé et avenir
Toute situation observée, à peine évaluée, a déjà rejoint le passé. Le contrôle est donc, par nature, une connaissance du passé, même s’il porte des informations essentielles pour se projeter dans le futur : les opportunités, les risques et les freins à prendre en compte.
Nourrie des objectifs à court terme et moyen terme, voire de l’ambition à plus long terme du dirigeant (Cf. “Diriger en intégrant le futur dans le présent”), l’analyse du réel et les prises de décision qui en découlent forment le noyau même du pilotage. C’est celui-ci qui permet de transformer une évaluation pertinente du passé, à travers le contrôle, en possibilité de futur mieux choisi et davantage maîtrisé. Ainsi, la fonction du pilotage est de convertir une réalité et des objectifs en actions et efforts “convergents”.
À chaque niveau, un engagement à l’action
Même le projet le plus ambitieux, comme “aller sur la lune avant la fin de la décennie” (John F. Kennedy – 1962), ne se réalise que par des actions concrètes, chacune définissable par un triptyque “Quoi, Qui, Quand” collectif ou individuel. Partant d’un objectif intégral défini par le dirigeant et son équipe, chaque niveau managérial doit faire preuve d’un “engagement ferme et sincère” sur les résultats à obtenir dans son périmètre (le puissant terme de “commitment” anglo-saxon), puis définir avec les équipes concernées les étapes nécessaires et les actions de plus en plus élémentaires à mettre en œuvre, chacune assortie d’un délai de réalisation. Le pilotage se décline ainsi à travers toute l’organisation pour éviter la trop fréquente “bonne volonté à l’état gazeux” qui enjambe naïvement les étapes allant de l’objectif à son atteinte effective.
Un cadencement judicieusement choisi
Avec ces principes, la logique globale dans laquelle s’inscrit le pilotage est une boucle répétitive que le dirigeant, puis chaque niveau managérial en ce qui le concerne, va graver dans des rituels cadencés en “short interval management” (ou AIC – Animation à Intervalle Court). Selon le contexte, l’urgence et la maturité des acteurs, cet intervalle court peut être de l’ordre de l’heure (e.g. démarrage d’une ligne de production à haute cadence), de la journée, de la semaine, voire du mois pour piloter le déploiement d’une stratégie mondiale (e.g. lancement d’une nouvelle gamme de produits). Pour une communication sans ambigüité, le pilotage stricto sensu se limitera cependant à l’analyse de la réalité, complétée des décisions d’action, comme représenté ci-après.
Le pilotage dans la relation managériale
Que ce soit entre le dirigeant et les membres de son comité ou entre un manager intermédiaire et ses équipiers directs, la relation managériale s’organise en trois dimensions :
D’abord, tout simplement, arrive le lien qui concerne la personne. Il se manifeste dans la courtoisie et la convivialité, parfois réduites à un minimum « comment ça va ? » qui n’attend pas de réponse.
Apparaît ensuite le lien par lequel le dirigeant ou le manager s’intéresse précisément aux résultats obtenus. Il se traduit dans une relation de contrôle qui, nous l’avons vu, est à la fois indispensable et insuffisante.
S’y ajoute enfin le lien le plus important, celui qui reste souvent négligé et qui, encore pauvre ou déjà solide, ouvre toujours des espaces de progrès substantiels : la relation entre le dirigeant, ou le manager, et le professionnel. La préoccupation se polarise ici sur le travail lui-même, ce à quoi il contribue, ainsi que sur les compétences et l’engagement que l’équipe ou la personne y apporte. Bref, sur le moteur même de la performance.
Sans négliger l’importance des relations interpersonnelles, le pilotage établit avant tout un lien logique et riche entre le contrôle des résultats et la contribution professionnelle de chacun, en compétences et en engagement. Un simple feed-back limité à “c’est bien” ou, moins positivement, à “ce n’est pas ce que j’attendais” resterait très insuffisant pour construire un nouveau niveau de performance.
Un pilotage puissant assure donc la cohérence entre la gestion (les indicateurs et les objectifs) la technique (les méthodes et équipements mis en œuvre) et les personnes (les compétences et l’engagement). Une telle cohérence, ajustée en permanence, complète et équilibre la contrainte de résultat par le plaisir du challenge. En somme, c’est une, sinon LA, composante majeure des pratiques managériales opérationnelles à tous les niveaux, du dirigeant au chef d’équipe.
Pour illustrer ces principes, nous avons choisi des situations de pilotage dans deux fonctions dont les logiques propres sont a priori éloignées. Ce qui, pour les amateurs de bons vins, pourrait se comparer aux expressions bien différentes d’un même cépage dans deux terroirs distincts !
Exemple 1 – Pilotage des ventes dans une activité B2B
Dans la sphère commerciale, le mot contrôle provoque invariablement l’apparition d’une attitude défensive, voire de rejet. Combien de fois n’ai-je entendu « flicage », « je sais faire mon travail », et d’autres propos du même genre. C’est clair, la population commerciale revendiquant son autonomie, est particulièrement rétive à toute forme de contrôle direct qui est vu, au mieux, comme une perte de temps.
Or le pilotage de l’action commerciale n’est pas différent de celui des autres fonctions d’une organisation, ni de celui d’un navire ou d’un aéronef : il faut fixer un cap, une direction, un objectif, et pour faire aboutir son navire ou son avion à l’endroit voulu, il faut savoir comment il marche sous le vent, les courants et les perturbations. On ne peut savoir à l’avance comment un navire se comporte, il faut le regarder naviguer pour le comprendre, pour espérer lui faire atteindre le bon port.
Revenons au management des équipes commerciales. Pour espérer les piloter de manière à atteindre l’objectif (arriver à bon port) il faut connaitre ses capacités de réalisations dans un marché et ses facultés à faire face aux turbulences (savoir comment il marche sous le vent et dans les courants) ; comment faire ?
La pratique de pilotage adaptée est la revue commerciale. C’est un rituel de management qui se traduit en un face à face entre la personne chargée d’un secteur (ou l’équipe dans certains cas de vente complexe) et son manager, au cours duquel les affaires en cours sont examinées. À la différence des fréquentes réunions commerciales, trop générales, la revue commerciale doit aller en profondeur sur les actions réalisées, les raisons qui ont présidé à ces actions, l’évaluation contradictoire de la situation, et ce, pour chaque affaire. Sa finalité en est donc de coopérer à la détermination de l’action juste au moment juste.
Pour bien piloter son activité commerciale, le manager doit apprendre à « lire la situation et la trajectoire de son navire » c’est-à-dire à évaluer la capacité de chaque contributeur commercial individuel ou collectif à réaliser les ventes. De façon plus détaillée, il portera son attention sur la capacité du contributeur à évaluer les situations, à choisir, déclencher et dérouler l’action pertinente, de la meilleure manière, et dans des contextes variés. C’est du contrôle mais surtout de l’observation précise et de l’exercice du jugement.
À partir de ces constats, le manager doit aussi, – et c’est une compétence qui s’apprend – aider le commercial à progresser sur ces domaines.
Mal conduite, la revue commerciale sera immanquablement vécue comme un exercice de contrôle-flicage, avec ses conséquences néfastes sur la perception de valeur ajoutée et de leadership du manager, la cohésion de l’équipe et la motivation des individus.
Bien conduite, la revue commerciale est au contraire un moment de coaching de performance qui incarne une “Culture du Challenge Constructif” (CCC).
Cette conviction trouve aussi un écho dans le sujet CRM (Customer Relationship Management) : en principe, ces logiciels visent à guider les personnes chargées de la relation commerciale ; il faut renseigner les données sur le client et l’affaire, puis hop ! un coup de baguette magique et les prévisions de vente sont faites et parées de la vertu “vérité” car issues d’un outil équipant des milliers d’autres entreprises performantes !
Dans aucune des entreprises que j’ai fréquentées, le CRM n’était à même de fournir des informations directement utiles aux commerciaux de terrain. Il était alors un frein plutôt qu’une aide au pilotage.
Pour résumer, sans une revue commerciale “CCC” et un outil directement utile aux personnes chargées de l’alimenter en information, le contrôle sera contraignant et le pilotage des équipes commerciales vraiment difficile.
Exemple 2 – Pilotage de la qualité Produit d’une production en grande série
La performance d’une ligne de production de yaourts impose un pilotage à intervalles très courts. Chaque heure, pas moins de 50 000 pots de yaourt sortent de la ligne ; quelques minutes suffisent pour qu’une dérive non corrigée ait des conséquences considérables ! Le cycle de pilotage est donc cadencé en minutes.
Exemple du pilotage de la position de l’étiquette
Un dispositif simple de contrôle visuel de l’alignement de l’étiquette a été défini (photo) selon la logique “vert-jaune-rouge” pour la position du logo.
- Vert : « Tout va bien et je ne change rien. »
- Rouge : « Il y a un problème sérieux et j’arrête la machine ou le processus en cours. » (À des fins de formation, la photo montre une telle anomalie),
- Jaune : « Il y a dérive et j’ai les moyens de corriger la situation ! J’en ai les moyens techniques et la compétence idoine. » Un tel message très clair de responsabilité et d’autonomie transforme le simple contrôle en pilotage !
En prenant une analogie routière, toujours facile à mémoriser :
- Vert, je roule sur l’autoroute dans ma voie. Tout va bien.
- Jaune, j’ai dévié de ma trajectoire normale et je roule sur la bande vibrante ; je ne suis pas encore en danger mais il est temps de faire quelque chose… Et j’ai les moyens de le faire ! Pour cette réaction, je suis effectivement responsable et autonome.
- Rouge, quelque chose de plus grave est arrivé : verglas, pneu éclaté… Malgré ma tentative de réaction, je suis allé au fossé. Il faut appeler les secours.
Cette logique Vert-Jaune-Rouge s’applique de façon semblable au pilotage d’un processus technique, administratif, de validation d’un projet… etc.
Et surtout, ce formalisme structure les responsabilités de pilotage du manager et des équipiers, par le choix des paramètres que l’on décide de mettre sous contrôle visuel puis, pour chacun d’eux, la définition des espaces d’autonomie avant l’appel aux secours.
Un processus particulièrement difficile par gros temps
Lorsque l’entreprise rencontre des difficultés, le besoin de résultats se traduit pour le dirigeant par un stress hors du commun, au sens propre. Et, comme cela est humainement naturel, le même dirigeant ressent alors le besoin inéluctable d’un contrôle très détaillé. Savoir plus amoindrit le sur-stress de l’incertitude. Pourtant, au-delà d’un seuil dépendant du niveau de confiance et de coopération existant dans l’équipe, l’excès de stress ainsi transmis peut être extrêmement paralysant.
Dans les difficultés, il est plus que jamais nécessaire de limiter la pression sur le résultat et de s’intéresser davantage à la maîtrise des processus, au moteur de la performance, de façon a priori antinaturelle.
Sans s’y attarder, nous souhaitons donc rappeler que, particulièrement en période difficile, le pilotage doit régulièrement être remis en cause dans sa structure pratique. Dans cette méta-observation le focus n’est plus la production de décisions elle-même, mais la structure qui porte cette production : Les objectifs méritent-ils d’être actualisés ? Les indicateurs analysés restent-ils les plus pertinents ? Leur collecte peut-elle être automatisée ? Le processus d’analyse lui-même peut-il être amélioré ou simplifié ? L’arborescence des décisions jusqu’au niveau le plus élémentaire peut-elle être accélérée ? La fréquence des boucles de rétroaction gagnerait-elle à être raccourcie ou pourrait-elle être allongée sans risque ?… Des petits changements sous forme de prototypes amènent souvent à se reposer de saines questions sur l’essence même du processus global et de chaque étape : Pourquoi et Pour Quoi ?
Et par très gros temps…
Enfin, quels que soient les objectifs et ambitions du dirigeant, l’avenir n’a de sens que si la survie de l’entreprise est assurée. De même que le pilote d’un avion a pour priorité absolue de préserver les conditions de maintien en vol (“aviate” pour les pilotes), le dirigeant a pour objectif premier de préserver les conditions de maintien en vie de l’entreprise. Le plus souvent, ces dernières imposent avant tout un pilotage diligent et rigoureux de la trésorerie. Pour les avions, les enquêtes du BEA (Bureau d’Enquêtes et d’Analyses pour la sécurité de l’aviation civile) montrent que, malheureusement, de nombreuses catastrophes arrivent par négligence de l’essentiel. La transposition en entreprise est entièrement valide comme on le constate dans de nombreux cas.
Alors, Contrôle ou Pilotage ?
Pour en revenir à notre question initiale, nous pouvons conclure par une réponse simple et bellement symétrique :
Le contrôle, qui va de l’action au résultat mesuré,
prend tout son sens dans le pilotage, qui va du résultat mesuré à l’action !
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