Résumé

Notre précédent article traitait du défi auquel les entreprises sont confrontées face au retournement de conjoncture actuel, sur fond de tension inflationniste, et de difficultés d’approvisionnement. Dans ce climat chahuté, la rentabilité et le cash deviennent des enjeux encore plus vitaux qu’auparavant. Dès lors, il nous apparaît que la mise en place d’un pricing optimisé de l’Offre, conciliant préservation du volume d’affaires, profitabilité des produits et des clients et responsabilité, devient un objectif hautement stratégique.

Nécessité de revoir méthodiquement le pricing de l’Offre

Un des aspects importants de ce sujet, souvent méconnu dans les ETI et les plus grosses PME (les ETMI – Entreprises de Taille Moyenne ou Intermédiaire) est celui de la conduite d’une revue méthodique du pricing de l’Offre, dûment étayée par la data. En s’appuyant sur une analyse fouillée et méticuleuse, celle-ci permet de faire émerger une vision objective pour convaincre l’équipe de direction de vaincre leurs appréhensions instinctives à l’égard des augmentations de prix. Ce gain de maturité est gage d’une évolution positive vers un pilotage adaptatif de la rentabilité, efficace « par gros temps », et permettant à l’entreprise de tirer son épingle du jeu en cette période particulière pour se positionner favorablement face à ses concurrentes.

Il va sans dire que le phénomène d’écrasement des marges causé par le renchérissement des matières et des énergies peut déstabiliser et affaiblir nombre d’ETMI, voire mettre en péril les plus fragiles. Ces entreprises sont par là même dans l’obligation de se hâter à mettre en place les moyens leur permettant de préserver ou restaurer leurs équilibres économiques. Mais elles ne savent généralement pas réagir efficacement face à l’inflation rampante, ayant perdu l’habitude d’y baigner comme ce fut le cas il y a plusieurs décennies. La grande majorité de leurs cadres n’ont pas les réflexes qu’avaient développé leurs ainés dans les années 1980 pour maintenir la rentabilité d’offres beaucoup plus simples au demeurant, et ils ne disposent pas toujours de systèmes fiables de modélisation et de mesure de la rentabilité des différentes activités, produits, clients, leur permettant d’ajuster rapidement le pricing.

Concentrons-nous pour commencer sur le sujet du diagnostic des pratiques de pricing de l’entreprise héritées d’un monde sans inflation, réservant à des articles ultérieurs la question du pacte unissant les protagonistes clés et du mécanisme adaptatif de pilotage de la boucle pricing / rentabilité.

Diagnostic de la rentabilité des offres et des clients

Une étude approfondie des pratiques de pricing et de son impact sur la rentabilité est à réaliser avant toute action de révision tarifaire, pour des raisons qu’il est facile de comprendre. D’une part, nous observons que les pratiques tarifaires des ETMI sont souvent peu cohérentes en ce qu’elles varient fortement en fonction du commercial concerné, du client, du produit et d’une multitude d’autres facteurs plus ou moins explicités. Ceci rend impossible l’application d’une formule simple et uniforme d’ajustement des prix pour parer à l’inflation. D’autre part, une fois que de mauvaises décisions de réajustement tarifaire ont été mises en œuvre, il est assez malaisé de revenir en arrière pour les corriger.

En outre, un tel diagnostic est révélateur des défauts d’alignement de la politique commerciale avec la stratégie de l’entreprise. Il est par ailleurs tout aussi éclairant pour débusquer les effets délétères de plans de commissionnement mal conçus, favorisant des comportements destructeurs de rentabilité.

Or toutes les entreprises de cette taille disposent de systèmes d’information contenant l’essentiel de l’information nécessaire à l’analyse de la rentabilité de chaque produit et de chaque client. Ces derniers peuvent généralement être regroupés par catégories/familles/sous-familles de produits et par segments/sous-segments de clients. L’analyse de la rentabilité peut au besoin porter sur les combinaisons produits/clients, au niveau de granularité adéquat.

1e étape : rapprocher des données relatives aux coûts et aux prix effectifs, au niveau de la transaction unitaire, par croisement d’éléments issus d’univers souvent séparés en l’absence d’un ERP bien configuré (situation ô combien courante dans les ETMI) : gestion commerciale, gestion des achats, gestion des nomenclatures et des gammes de fabrication, gestion de la logistique, gestion des coûts standards, etc. Ces opérations requièrent un traitement des nombreuses anomalies que l’on rencontre dans les données brutes, ce qui constitue un des freins à leur exploitation par l’entreprise elle-même.

2e étape : reconstituer les vraies marges de contribution, voire d’approcher les marges d’exploitation des produits et des clients ou des couples produits/clients en choisissant le bon niveau de granularité. Ceci exige une excellente maîtrise du sujet de la répartition des coûts, qui repose sur une expertise peu répandue chez les contrôleurs de gestion de la plupart des ETMI.

3e étape : examiner les engagements contractuels vis-à-vis de certains clients concernant les possibilités de révision tarifaire, sans abus et dans le respect de la responsabilité et de l’équité de traitement, ainsi que décortiquer le modèle de commissionnement des commerciaux pour jauger les biais comportementaux que celui-ci induit. Ces sujets suscitent souvent des réactions défensives, liées à une crainte irraisonnée de perdre des marchés.

Fort des résultats de ces analyses, synthétisées et consolidées selon des axes convenablement choisis pour rendre possible la comparaison de scénarios « à la volée », en fonction de différents jeux d’hypothèses, on peut dégager une vision d’ensemble, robuste et précise. Celle-ci a vocation à être discutée au sein d’un comité de pilotage restreint incluant le dirigeant et quelques cadres clés, dans l’objectif de choisir les meilleurs leviers d’action immédiate et à moyen terme.

A l’issue de ce diagnostic, ces leviers sont rassemblés et articulés dans un plan présenté au « board » pour arbitrage, décision et impulsion de sa mise en œuvre. Le plan finalement entériné contient le train de mesures à mettre en œuvre en matière de changements tarifaires et de modifications des dispositifs d’intéressement des commerciaux et de contrôle de la rentabilité des transactions de vente. Il comporte également les messages clés de communication aussi bien en interne qu’en externe, le calendrier d’implémentation, les jalons et les objectifs associés.

La réalisation diligente d’un plan de ce type est la condition sine qua non de la traduction de la nouvelle donne en opportunité de performance différentielle et par conséquent de gain de compétitivité. Elle impose pour sa réussite de vaincre les craintes et les réticences que nous constatons si souvent à agir sur la rentabilité par le biais du pricing, grâce à une démarche construite et la conclusion d’un pacte entre les principales parties prenantes.