Résumé

Avec la montée de l’inflation, il devient crucial de réagir de manière méthodique et responsable pour protéger la rentabilité de l’entreprise. Mais on bute souvent sur des chausse-trappes de nature psychologique qu’il s’agit absolument de traiter pour surmonter l’obstacle des peurs et des résistances des différentes parties prenantes.

La solution réside dans l’instauration d’une dynamique de coopération entrepreneuriale pour coaliser autour du dirigeant l’ensemble des protagonistes avec un pacte les unissant dans un objectif commun.

Les résistances à l’ajustement des prix

Les considérations qui vont suivre s’appliquent à toute entreprise, de tous secteurs de l’économie, qu’elle soit industrielle ou de services, mais nous nous limiterons à celles de taille moyenne ou intermédiaire, que nous convenons de désigner par l’acronyme ETMI.

Mettons de côté ici les complexités techniques à surmonter pour calculer l’inflation « importée » dans chaque produit fini ou chaque service proposé par l’entreprise. Hormis cette difficulté, l’un des principaux obstacles à un changement de pricing, en cette période de pression inflationniste persistante, est de parvenir à coaliser plusieurs fonctions clés, Direction Générale, Commerce, Production et Finance, et les unir dans une détermination d’airain, pour réaliser le réajustement nécessaire des prix. Nous allons vite comprendre pourquoi il en est ainsi.

Des positions inconciliables ?

La direction financière est la première à souhaiter protéger l’entreprise d’une rapide détérioration de ses marges. Elle aura tendance à demander que l’on prenne les devants ou que du moins l’on réagisse sans tarder, quitte à ce que ce soit fait de manière expéditive, pour compenser les effets de l’inflation des coûts. La Finance va ainsi insister pour que les commerciaux et le marketing produit s’attèlent au plus vite au relèvement des tarifs catalogue et que cela se traduise par un réajustement effectif des prix nets pratiqués.

Quant aux commerciaux eux-mêmes, ils sont très soucieux de la préservation du volume d’affaires généré par leur territoire de vente, se montrant prudents et préférant y aller par petits paliers successifs. Il n’est pas naturel pour eux de « faire passer » des augmentations de prix. Le fait d’être en première ligne face à leurs clients et ainsi soumis à leur pression et leurs menaces de changement de fournisseur, ils risquent de trainer les pieds. Ils peuvent aussi prétexter l’absence de clause d’indexation dans les contrats pour éviter des négociations qu’ils redoutent. En outre, comme dans la plupart des ETMI les plans de commissionnement sont au chiffre d’affaires, et que le contrôle des marges par la Direction Commerciale manque de précision, faute de motivation et d’outils adaptés, les augmentations de prix décidées ne se traduisent que partiellement dans les faits. L’approche top-down, souvent pratiquée, s’avère ainsi peu efficace (on constate dans les faits 50 % voire davantage d’écart par rapport à la cible fixée).

La direction générale, sensible aux arguments de part et d’autre, souhaitera trouver le point d’équilibre entre rentabilité à court terme et préservation de la compétitivité. Sa difficulté pour ce faire est qu’elle manque, du moins dans les ETMI, de visibilité sur l’impact effectif de l’inflation sur la marge nette et d’une bonne évaluation de l’élasticité de la demande par rapport aux prix. De ce fait, elle ne dispose pas de scénarios complets pouvant être comparés pour déterminer la meilleure voie à suivre. Son premier réflexe sera de faire pression sur la supply chain pour atténuer au maximum les effets de la hausse des coûts d’achats ainsi que sur la production pour tenter d’absorber pour partie les surcoûts apparus. La crainte excessive de perte de business est, dans bien des cas, partagée avec le commerce. Tout dirigeant aura aussi à cœur, étant garante de l’image de l’entreprise, de ne pas léser les clients par des hausses mal calibrées ou abusives, dans le respect de l’éthique et de l’esprit de responsabilité économique.

Dès lors, il n’est pas étonnant de constater que dans la plupart des cas en ETMI la prise en compte de l’inflation s’avère une affaire tortueuse, donnant lieu à des tiraillements entre les principaux protagonistes que sont la Direction Générale (DG), la Direction Commerciale (DC), la Direction Financière (DAF) et la Direction Opérationnelle (DO) de l’entreprise. Ceci se traduit par une lenteur de prise de décision et d’exécution voire une quasi-paralysie, dont le résultat éclatant est une détérioration sensible de la rentabilité.

Comment surmonter cette difficulté ?

La première condition est d’objectiver et de structurer la démarche d’évolution du pricing en suivant un processus en quatre étapes :

  1. Un cadrage établissant les objectifs de l’opération en termes d’ampleur et de calendrier, suivi du développement d’un plan qui, étant donné son importance stratégique, doit être débattu avec la gouvernance de l’entreprise ; ce plan porte sur le ciblage des hausses de manière différentiée par client, produit, etc., en tenant compte de leur acceptabilité par les clients et comporte l’évaluation économique des gains attendus et des pertes pouvant être encourues ;
  2. Une préparation minutieuse de l’opération en définissant les mesures de mitigation des risques de pertes de chiffre d’affaires et d’attrition de la clientèle, les termes et contreparties à utiliser lors des négociations des hausses planifiées, les actions de communication interne et externe pour accompagner l’opération et la formation des commerciaux pour que l’exécution de l’opération se passe bien et de manière cohérente et ordonnée ;
  3. La mise en œuvre opérationnelle de la feuille de route convenue, la mise en place d’éléments de support, le suivi de son exécution au moyen d’indicateurs appropriés, et le pilotage en CoDir de l’opération en mode projet ;
  4. L’établissement du bilan de l’opération et le retour d’expérience pour identifier les opportunités d’amélioration et instituer à partir de là un fonctionnement en boucle itérative, à inscrire dans la durée dans le corpus de pratiques usuelles de l’entreprise.

Mais ceci ne saurait se substituer à l’instauration d’une dynamique de coopération entrepreneuriale. Celle-ci consiste pour le dirigeant à coaliser autour de lui les protagonistes cités plus haut autour d’un pacte les unissant dans un objectif commun. Il s’agit d’évaluer rapidement l’impact du choc inflationniste subi par l’entreprise, s’accorder sur ses implications en les étayant par des analyses et une scénarisation cohérente, rechercher de manière collaborative les solutions praticables et définir les moyens de support à leur mise en œuvre par les commerciaux, communiquer l’importance du projet pricing et de la gestion de la rentabilité à l’ensemble de l’organisation et enfin afficher leur solidarité et leur détermination sans faille à mener ce projet à bien. C’est ce pacte quadripartite réunissant la DG, la DC, la DO, et la DAF qu’il convient d’établir et surtout d’incarner et de faire perdurer.