Résumé
Un Groupe industriel est confronté à des grosses difficultés et le Big 4 qui le conseille ne lui délivre pas un diagnostic pertinent lui permettant d’y faire face efficacement. Les méthodes classiques employées ne parviennent pas à mettre en évidence le faisceau de raisons à l’origine des difficultés. Seul un diagnostic intégral intégrant une analyse des données et des méthodes de calcul avancés est à même de fournir l’éclairage pénétrant nécessaire.
Le contexte
Le Groupe familial MEDASIP (nom modifié) est une ETI industrielle centenaire. C’est un acteur spécialisé dans la fabrication de meubles. Ce Groupe familial emploie quelque 1200 personnes et réalise près de 200 M€ de CA. Deux tiers de ses ventes sont en France et se font à travers les enseignes de distribution en grande surface (GSS).
L’Entreprise connait depuis plusieurs mois des difficultés économiques aigües. La dégradation de ses indicateurs financiers est inquiétante. Cette situation est due, d’après son PDG, à la réduction des garanties des assureurs crédit accordées aux encours du plus gros client de l’entreprise (30 % du CA), entraînant par effet domino la baisse de l’affacturage, coupant ainsi pour partie le financement de BFR dont jouissait l’entreprise et la bridant sur le plan commercial. Ses conseils le poussent à recourir à un médiateur pour l’aider à négocier de nouvelles conditions de paiement avec ce client et gérer ses partenaires financiers afin de contenir la réaction en chaine probable, le temps de trouver de nouveaux financements.
Dans un premier temps, les banques et les crédits bailleurs acceptent, au terme d’un long round de négociation, le gel de leurs échéances de capital en attendant d’y voir plus clair. Une série de rapports financiers sur la situation sont commandés à grands frais à un Big Four durant cette période prolongée d’incertitude, sans qu’aucun ne mette en lumière l’origine structurelle des difficultés de l’entreprise. Un plan hétéroclite, comprenant pas moins de 10 axes d’amélioration différents est établi par ce Big Four en mode bottom-up au moyen d’ateliers de travail, en écartant par principe toute participation de membres du CoDir de l’entreprise ! Ce plan est donc resté lettre morte.
Le lancement d’un diagnostic
Face à une situation qui s’enlise, le Dirigeant se résout finalement à faire appel à une assistance externe spécialiste des situations de sous-performance pour établir un plan de redressement convaincant, et à nommer un directeur général pour le mener à bien. Nous sommes ainsi retenus pour un diagnostic stratégique, opérationnel et financier visant à identifier les axes d’amélioration prioritaires et construire un plan de bataille cohérent.
Nos travaux sont réalisés en 8 semaines par une équipe de deux personnes. L’état des lieux dressé est révélateur. En effet, la thèse selon laquelle la situation serait passagère car liée aux tribulations du premier client de l’entreprise ne résiste pas à notre examen approfondi. Il s’avère en réalité que les acquis du Groupe, dont sa position de longue date sur le marché français et son expertise du métier, ne suffisent plus face aux récents bouleversements (affectant les caractéristiques de la demande et l’environnement concurrentiel), auxquels l’entreprise s’est peu préparée. En outre, il apparaît que le positionnement commercial adopté l’expose à de fortes variations d’activité et que son modèle opérationnel n’est intrinsèquement plus rentable au niveau de volumétrie actuel. Ce problème est exacerbé par un système de mesure de la profitabilité tarabiscoté et manquant singulièrement de clarté, que par conséquent peu consultent et qui n’émet pas les signaux d’alerte à temps.
Les constats révélés par le diagnostic
Nous mettons aussi en évidence le fait que l’Entreprise s’est dispersée sur de nombreux segments et pays et maintient une offre trop large. Cette fragmentation occasionne des pertes considérables de capacité et d’efficience industrielle, et se répercute sur les services commerciaux, de marketing et de bureau d’études. Baignant dans une suractivité qui alimente ce phénomène, ils ne se doutent pas que ce dernier est destructeur de valeur. De plus, la société supporte des coûts fixes excessifs par rapport à la marge dégagée par ses ventes. Elle se retrouve ainsi à la merci de la moindre secousse affectant son CA et sachant que de surcroit son business est « cyclique », elle plonge souvent dans le rouge. Elle est aussi tributaire de variations de coûts de matières, peu prévisibles, qu’elle ne sait pas bien répercuter sur les prix réclamés à ses clients. Au final, ses résultats financiers faibles et fragiles ne lui permettent pas d’investir régulièrement pour élever sa productivité et sa flexibilité au niveau lui permettant d’être durablement compétitive.
Nous décelons également pendant notre période d’immersion au sein de cette entreprise une propension collective du management à surestimer les perspectives d’activité, en dépit de ce que disent les indicateurs mis en place, et son incapacité à tenir compte des infléchissements pourtant détectables à travers les données dont il est censé disposer. Des biais systématiques sont introduits en matière de planification budgétaire, mais ils sont tolérés et passent sous silence. La profusion d’indicateurs de performance, pourtant tenus à jour et partagés, fait qu’en définitive ceux-ci sont peu utilisés pour orienter les décisions, en dépit de signaux négatifs. Les décideurs paraissent inhibés et davantage dans le constat des difficultés qu’investis de la responsabilité de définir et mettre en œuvre sans retard les mesures appropriées et d’en assurer le suivi serré d’exécution.
Par conséquent, la société connaît une inertie considérable dès lors qu’il s’agit de s’adapter à la dégradation de sa situation et aux soubresauts de son environnement. Pour couronner le tout, bien que l’entreprise disposât au moment de notre intervention d’éléments alarmants relatifs à son BFR, ses décideurs opérationnels prennent assez peu en compte la contrainte de trésorerie, forte depuis de longs mois, pour modérer la consommation de cash.
Des managers conscients du problème mais incapables d’agir collectivement
Nous sommes aussi frappés par le fait que beaucoup des cadres rencontrés ont conscience des problèmes. Bien qu’attachés à l’Entreprise, notant que la Direction ne réagit pas dans le sens perçu comme nécessaire, ils baissent les bras ou se cantonnent à leur périmètre dans leur silo fonctionnel.
Les 9 principaux managers, sondés au moyen d’un questionnaire détaillé (sur 140 points relatifs aux points de contrôle clés), s’accordent à considérer que la gestion des clients et le pilotage de l’Entreprise pêchent fortement. S’agissant de la Stratégie de l’entreprise, leurs avis sont partagés, certains étant extrêmement critiques alors que d’autres considèrent que celle-ci est pertinente, malgré l’absence de résultats probants venant en appui de cet optimisme. En voici la synthèse (notation sur une échelle de Likert de 1 à 5).
L’analyse statistique des données de gestion et des chiffres financiers permet de se faire une idée plus précise de la situation et d’établir un état des lieux étayé. A l’issue de cette phase ponctuée d’allers-retours avec quelques cadres clés, nous sommes conduits à mesurer l’entreprise sur les huit axes d’analyse et à comparer notre scoring à celui du management.
Il est intéressant de voir que si nous convergeons sur la plupart des indicateurs opérationnels et sur la gouvernance (du moins en moyenne), un important hiatus apparaît entre les évaluations respectives de la Stratégie. En fait, comme cela est souvent constaté, les managers n’ayant pas pris part à l’élaboration de la Stratégie se révèlent plus critiques à son encontre et sont plus proches dans leur jugement du nôtre. Ceux ayant participé à sa définition sont naturellement plus positifs à son sujet.
La prise de conscience
L’analyse de ce scoring avec l’équipe de direction s’est alors traduite par une prise de conscience collective de la réalité sous-jacente. Elle a surtout permis de préparer les esprits et les rendre plus réceptifs au besoin de mettre en place un plan de progrès énergique.
Nous verrons dans le prochain article de cette série l’étape de construction du Plan de Progrès et les quelques enseignements que l’on peut tirer de ce cas d’école.