Prévision de la demande dans les entreprises travaillant par projets

Résumé

Certaines entreprises dépendent de projets complexes nécessitant une ingénierie avancée, rendant la prévision de la demande difficile en raison de l’incertitude et du nombre limité de données utiles pour la prévision. Pour améliorer le processus de prévision, il est crucial de catégoriser les projets selon leur nouveauté et complexité et d’analyser les données historiques pour identifier des variables prédictives. Intégrer ces variables dans un modèle prédictif permet de se concentrer sur les affaires ayant une forte probabilité de succès. Enfin, un processus de prévision collaboratif et ajusté aux données disponibles peut aider à mieux gérer les incertitudes.

Incertitude et à-coups : les défis de la prévision par projets dans les affaires complexes

Certaines entreprises réalisent une part significative de leur chiffre d’affaires grâce à des produits complexes ou innovants, nécessitant une part importante d’ingénierie. Il s’agit par exemple d’équipementiers dans les secteurs de la défense, de la construction navale, de l’aéronautique et de l’automobile, de constructeurs de bâtiments ou d’infrastructures. Comme dans toute entreprise, le management a besoin de prévoir la demande des clients, dans le court et moyen terme pour anticiper la charge, planifier les capacités et orienter les actions des équipes de vente, et à plus long terme pour planifier les investissements et ajuster certains choix stratégiques.

Cependant, nous entendons souvent que pour ces affaires complexes, « l’incertitude est grande sur la prise de commande, conduisant à une logique du tout ou rien ». Les prévisions de la demande seraient-elles ainsi si incertaines que les à-coups dans les flux de travail, la mauvaise maîtrise de la charge et souvent des retards dans les délais contractuels seraient inévitables ?

Il est vrai que chaque affaire donne lieu à un projet nécessitant des développements spécifiques, que les opportunités d’affaires sont rares, qu’il y a peu de données disponibles et que les processus de vente sont longs et complexes, aux dates incertaines. Ces écueils sont aggravés quand les affaires se font sur appels d’offres, notamment d’entreprises publiques, où les expressions des besoins et les circuits décisionnels sont complexes et soumis à des aléas budgétaires et politiques. Les méthodes statistiques de prévision sont rarement utilisables en raison de la rareté et de la diversité des données.

Existe-t-il des moyens d’améliorer cette situation ? Nous préconisons ci-après quelques règles de conduite qui peuvent aider.

De l’incertitude à la prédictibilité : construire un modèle de prévision pour les projets complexes

  1. Discerner les affaires par projets parmi d’autres types d’activités

Il est rare que les entreprises se concentrent uniquement sur des projets. Souvent, elles proposent également des pièces détachées ou des services annexes pour lesquels la demande peut être plus facilement anticipée. Nous recommandons de reconnaître ce type d’affaires plus prévisibles et de les faire apparaître, par exemple, dans un classement de type PARETO, afin de mettre en évidence les véritables affaires par projets.

  1. Définir des catégories d’affaires par projets

Cette catégorisation permettra d’affiner le processus de prévision de la demande. Elle peut porter sur la complexité des projets et des processus de négociation. Dans le cadre d’affaires dépendant d’appels d’offres, les jalons de ces processus de négociation peuvent être : contact pris, appel d’offre lancé, short list, négociation. Ces jalons ainsi que le temps de cycle de la négociation pourront servir à cette catégorisation.

  1. Faire un état des lieux des données historiques disponibles

Pour chaque catégorie d’affaire, faire un état des lieux des données historiques disponibles, comme le taux de conversion, la qualité des données et les informations manquantes. Idéalement, ces données se trouvent dans les CRM ou dans les RETEX éventuels.

  1. Identifier les variables prédictives de la passation de commande

Cet état des lieux permettra d’identifier les variables prédictives de l’obtention de l’affaire, telles que sa complexité, le type de client, le pays demandeur, le commercial chargé de l’affaire, et le stade du cycle de négociation dans lequel se trouve l’affaire. Ces variables prédictives sont corrélées à la probabilité d’obtention de l’affaire et à la décision de l’inclure ou non dans le plan de charge de l’entreprise.

  1. Intégrer ces variables dans un modèle prédictif

Ces variables seront intégrées dans un modèle prédictif permettant de ne retenir que les affaires ayant une forte probabilité d’aboutir. Les méthodes les plus souvent utilisées sont des méthodes probabilistes à dire d’expert (à partir des intuitions des experts) et des méthodes de scoring (attribution de points de probabilité selon l’état de certaines variables).

Bien que très utiles, ces méthodes nécessitent des précautions dans leur utilisation, car elles restent soumises à des stratégies individuelles, comme celle de « garder au frigo » certaines affaires en les sous-pondérant en matière de chances de succès, des biais cognitifs individuels ou collectifs, comme le biais de surestimation pour les uns et l’aversion au risque pour d’autres, des traits de caractère comme l’audace ou la prudence des acteurs.

D’autres techniques, comme des estimations paramétriques basées sur des indices corrélés à la demande (par exemple, les ouvertures de chantiers pour un fabricant de grues) ou des méthodes de régression logistique, peuvent apporter une grande valeur ajoutée aux méthodes classiques de type scoring.

Au-delà du modèle prédictif : un processus de prévision collaboratif et itératif pour les projets

  1. Reconcevoir le processus de prévision

Il s’agira ensuite de reconcevoir le processus de prévision en fonction de ce modèle. Ce processus sera nécessairement collaboratif et nécessitera les précautions évoquées dans notre précédent article sur les revues d’affaires. Il impliquera les commerciaux ou des équipes technico-commerciales ayant une bonne connaissance des projets dont la probabilité d’obtention est à estimer. Il est important de noter la dimension managériale d’un tel processus : le comportement des manageurs vis-à-vis des collaborateurs et des enjeux individuels des contributeurs à la prévision ont un impact sur la qualité de la prévision. Cette qualité devra par ailleurs être mesurée et suivi pour qu’une boucle d’amélioration continue du processus puisse se mettre en place.

La périodicité de la prévision opérationnelle de la demande peut être par exemple mensuelle ou dans certains cas, cette prévision peut être revue à l’occasion d’un appel d’offre afin de mesurer la possibilité de répondre à une exigence de délai.

Notons que le système de prévision, aussi riche et complet soit-il, comprendra par essence des incertitudes, notamment en raison d’une quantité réduite de données. Cette incertitude pourra être traitée en développant des activités tampon comme des petites séries ou des services, et limitée en procédant une customisation tardive de l’offre produit.

En conclusion, la qualité de la prévision de la demande des affaires par projets peut être améliorée par une utilisation scientifique des données existantes et un recours structuré à l’intelligence collective des parties prenantes de l’entreprise.

Nous publions régulièrement des articles de fond concernant les pratiques managériales qui permettent d’enraciner l’excellence économique et opérationnelle dans les ETI. Notre approche originale allie l’analyse poussée des données à l’immersion sur le terrain de nos praticiens seniors pour établir des diagnostics approfondis, réalistes et sans angle mort.

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